Interview avec… Alice, passé par la CPES à Henri IV et PSL !

Alors qu’après le lycée, la majorité des très bons élèves se tourne le plus souvent vers les CPGE, nous allons nous intéresser aujourd’hui à une filière du nom de CPES (Cycle Pluridisciplinaire d’Études Supérieures) qui, au-delà d’être une formation d’excellence, est un véritable projet social qui gagne à être connu. Voici donc le témoignage d’Alice, qui va nous présenter cette filière à travers l’expérience qu’elle en a eue.

Voir plus: Parcoursup: Quelles études pour devenir ingénieur ?

Salut Alice, peux-tu te présenter brièvement et nous parler de ton parcours post-bac ?

Bonjour, je m’appelle Alice, j’ai 23 ans et je suis actuellement en Master 1 en politique publique, spécialité politique sociale. J’habite à Paris depuis le début de mes études supérieures et avant mon Master j’étais en CPES (Cycle Pluridisciplinaire d’Études Supérieures) au lycée Henri-IV et à l’Université PSL.

 

Pourquoi as-tu choisi d’intégrer un CPES et comment y postuler ?

Je sais que beaucoup de nouveaux CPES ont été créés cette année, à la rentrée de septembre 2022 mais lorsque j’ai postulé sur Parcoursup il y a 5 ans, il n’en existait qu’un, celui d’Henri-IV et PSL. Il était peu connu car il y avait très peu de communication à propos de cette filière. Je venais d’un bon lycée nantais – Clemenceau – où nos professeurs nous poussaient vers des formations sélectives et je n’en avais jamais entendu parler. C’est seulement grâce à du bouche-à-oreille d’une élève de mon lycée que je me suis dite que cela pouvait me correspondre. En effet, j’avais envie de faire une classe préparatoire mais je redoutais particulièrement les concours. J’ai donc postulé à la CPES de Henri-IV sans trop d’espoirs car c’était une formation très sélective dans un grand lycée parisien. J’ai finalement été parmi les derniers admis avec le bonus de boursière. Je suis donc arrivée très stressée en me disant que j’étais parmi les plus mauvais de la formation. Je voulais vraiment me donner les moyens de réussir en travaillant de manière très assidue parce que j’avais l’impression d’avoir beaucoup de choses à rattraper.

 

Comment s’organise le cursus en CPES ?

Pour commencer, en CPES beaucoup de parcours différents existent. Dans celui que j’ai fait, il y a trois filières très proches des anciennes filières du bac : une tournée vers les sciences économiques et sociales, une autre orientée vers la littérature et une dernière scientifique qui ressemble à une prépa MP ou PC.

De plus, en première année, les cours avaient lieu au sein du lycée Henri-IV avec des professeurs de prépa et une trentaine d’élèves par classe. Cela est absolument génial pour la compréhension des cours. Ayant fait un bac ES spécialité économie, j’ai intégré la filière économie avec des matières correspondant à une prépa B/L et j’ai pu choisir des options parmi les autres filières. Par exemple, j’ai choisi de l’histoire et de la théorie de l’art qui sont normalement destinées aux élèves de la filière littéraire. J’ai également choisi de la culture antique, ce qui était super intéressant en termes d’ouverture culturelle. On a donc un choix de matières hyper vaste, et c’est ce qui me correspondait vraiment.

On nous demande ensuite de nous spécialiser au fur et à mesure avec deux majeures à choisir en deuxième année. J’ai opté pour une première majeure en sciences économiques et mathématiques appliquées et une deuxième majeure en sciences sociales et politiques. J’ai donc passé ma deuxième année à l’ENS, dans l’antenne économie. Ensuite, en fonction de la spécialisation en troisième année, on a le choix parmi d’autres établissements de l’Université PSL. J’ai donc choisi de faire deux L3 l’une après l’autre, dans chacune de mes deux majeures, d’abord à Dauphine puis à l’ENS.

 

On entend souvent dire que la CPES forme à travailler dans la recherche ? Sais-tu déjà ce que tu envisages de faire après tes études ? 

Effectivement, c’est une formation qui tend à nous former pour poursuivre dans la recherche et généralement les CPES signent des partenariats avec des instituts de recherche. Je reconnais que ce cursus m’a un peu marquée au fer rouge là-dessus dans le sens où dès la première année, on a toutes les semaines des formations et des chercheurs qui viennent nous faire part de leurs projets de recherche. On doit également écrire des mémoires dès la première année. Donc même si à l’origine, je n’envisageais pas du tout continuer dans la recherche, maintenant je me rends compte que c’est le seul endroit où je pense pouvoir m’épanouir. Actuellement, je suis en Master 1 en politique sociale, donc pas très axé vers la recherche mais à partir de l’année prochaine je vais tenter de rentrer à l’EHESS (École des Hautes Études en Sciences Sociales) pour vraiment partir dans de la recherche en Master 2 puis postuler pour une thèse là-bas. Je suis un pur produit du CPES dans le sens où c’est vraiment leur objectif de former des chercheurs.

 

Au niveau de la charge de travail et des modalités d’évaluation, est-ce différent de la CPGE ?

Pour ma part, je n’ai pas choisi le CPES parce que je craignais l’exigence de la classe préparatoire. J’ai choisi cette voie parce que je suis particulièrement sujette au stress et je craignais vraiment les concours. Par exemple, en terminale, j’avais envisagé de passer les concours d’entrée à Sciences Po et un mois avant j’étais beaucoup trop angoissée. J’ai donc compris que faire un cursus avec des concours ne me correspondait pas du tout.

En revanche, la charge de travail est quand même vraiment conséquente en CPES. Je dirais que c’est la même charge de travail qu’en classe préparatoire, surtout en première année. Après, c’est un travail très stimulant intellectuellement et la diversité des matières permet de prendre son souffle. Par exemple, quand j’avais des gros devoirs de maths, à côté j’avais aussi des devoirs de littérature et d’histoire de l’art. Cela permet de ne pas être tout le temps le nez dans des sujets hyper appliqués.

Au niveau des modalités d’évaluation, on a principalement des DS mais aussi des rendus, surtout à partir de la deuxième année. C’est en deuxième année que le mélange entre l’université et la prépa se fait ressentir. On retrouve encore le format prépa, dans la charge de travail notamment, mais nos professeurs issus de l’ENS nous donnent plus de travaux sous forme de rendus et de papiers. C’est une approche différente du travail mais qui demande tout autant d’investissement. On ne “bachotte” pas pour arriver à son DS mais on passe la nuit à lire des articles de recherche. Ce n’est pas le même cycle de travail mais c’est passionnant.

 

Au-delà de la filière, peux-tu nous en dire plus à propos du projet social que représente la CPES ?

Effectivement, il y a un aspect hyper intéressant avec la CPES et j’espère vraiment que cela va continuer comme cela parce que c’est un vrai projet d’ascenseur social. Ce projet a été cofondé par l’économiste Pascal Combemale, un de mes professeurs à Henri-IV, et il avait pour volonté que cette formation puisse propulser des étudiants qui n’ont pas forcément les moyens culturels et financiers de faire des études à Paris ou de partir en grandes écoles. Le but est de rattraper l’écart lié à des connivences intellectuelles qui sont complètement différentes selon les origines sociales des étudiants. Le projet initial était d’avoir 50% de boursiers dans les classes, sachant que Henri-IV est l’un des deux seuls lycées français publics – avec Louis Le Grand – non soumis à la carte scolaire et pouvant sélectionner ses élèves dès le lycée. Depuis un an, cela a changé, mais à l’époque la ségrégation scolaire était tellement impressionnante qu’imposer 50% de boursiers dans cet établissement était un véritable défi, au-delà d’être un beau projet. Les boursiers pris à Henri-IV en CPES sont même logés à la Cité Internationale Universitaire de Paris pendant trois ans et nos loyers sont intégralement payés par l’institution. Donc tout est fait pour nous inclure dans la vie parisienne sachant qu’il y avait, par exemple, certaines personnes dans ma classe qui n’étaient jamais allées au théâtre. À Henri-IV, on se retrouve avec des gens qui vont à l’Odéon tous les soirs et qui parlent de politique à table. Je voulais donc insister sur ce beau projet car j’ai lu pas mal de témoignages sur la CPES disant que cela recrée juste des classes préparatoires et que ce sont des sous supplémentaires pour des publics issus de milieux très favorisés alors que l’objectif premier du CPES c’est à l’inverse d’essayer de proposer un cursus plus égalitaire.

 

Et qu’en est-il de la part de filles par rapport aux autres filières sélectives ?

Le CPES est un projet intéressant à propos de la féminisation des carrières scientifiques. J’en suis la preuve, les filles ont souvent plus peur de la confrontation des concours. La fierté du CPES, c’est qu’on est une majorité de filles notamment dans les filières scientifiques, ce qui est très rare par rapport aux classes prépas classiques. Donc ce cursus a aussi pour objectif de pousser les filles à oser se lancer dans des carrières scientifiques qui sont privilégiées d’habitude par les garçons. Pour cela, beaucoup d’intervenantes filles viennent montrer leurs travaux de recherche, ce qui est super motivant. J’espère que tout ce projet va perdurer parce que depuis que Pascal Combemale est malheureusement parti à la retraite, l’administration est un peu différente. J’espère donc de tout cœur que les autres CPES vont aussi reprendre tous ces principes d’inclusion parce que l’objectif premier de cette filière c’est vraiment l’égalité des chances scolaires.

 

Tu disais que le CPES a pour vocation de réduire les écarts culturels. Peux-tu nous parler des outils mis en place pour cela ?

Effectivement, une chose hyper intéressante en CPES, c’est le programme culturel. On paye environ 50€ puis on bénéficie de places offertes au théâtre, à l’opéra ou au cinéma tout au long de l’année. Cela pousse les étudiants à se confronter au milieu culturel parisien pour qu’il y ait des connivences qui se fassent et qu’on puisse s’ouvrir à ce milieu-là plutôt que de se sentir complètement en décalage. Parmi les élèves, certains sont issus des Cordées de la Réussite, un partenariat avec des lycées de banlieue parisienne, et malheureusement ce sont ces personnes-là qui abandonnent les premières tant le choc culturel est violent. Socialement c’est compliqué de s’intégrer quand on arrive dans une classe de littérature et que les gens à côté de nous avaient déjà lu Le Rouge et le Noir à 13 ans et connaissent par cœur tous les grands classiques de la littérature française alors que les seuls livres qu’on a lus ce sont les lectures obligatoires pour le bac. Donc c’est assez violent et on peut se dire dès la première semaine qu’on n’a rien à faire là.

On a également accès à toutes les conférences proposées dans les établissements de l’Université PSL, dont l’ENS. J’ai vraiment développé ma soif de savoir là-bas. Je suis arrivée très scolaire. Je faisais partie de ceux qui travaillaient énormément au lycée mais je n’étais pas forcément éveillée à la culture et c’est en arrivant en CPES que je me suis retrouvée entourée de gens très érudits. Ils allaient au cinéma toutes les semaines et avaient des cartes UGC illimitées, et me confronter à ces milieux là m’a fait m’ouvrir. Donc le choc culturel peut être tout aussi violent pour certains que révélateur pour d’autres. Se confronter à la diversité peut rendre la chose super intéressante, par exemple cela m’a éveillée aux causes environnementale et féministe. On arrive dans des cercles complètement différents et c’est cette diversité que j’ai trouvée incroyable. De manière générale, l’engagement étudiant y est hyper fort, beaucoup continuent les activités extrascolaires et la musique notamment. Comme tu l’auras compris le CPES est un vrai projet social, il y a beaucoup d’étudiants qui y vont pour ce projet, sans être boursiers mais qui sont très engagés dès leurs premières années post-bac.

Merci beaucoup à Alice pour son témoignage, et pour plus d’informations vous pouvez retrouver la page dédiée au CPES sur le site du ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche.

Vous pourriez aussi aimer